Journée de l’Ingénieur 2018

59e Journée de l’Ingénieur

Lean-driven innovation

Sur invitation de l’Association da Vinci, de nombreux décideurs des milieux académique, politique, économique et industriel se sont retrouvés début février à la Chambre de Commerce à Luxembourg-Kirchberg pour la 59e Journée de l’Ingénieur. Les quelque 250 participants comptaient les Vice-présidents de la Chambre des Députés Henri Kox et Simone Beissel, le Ministre honoraire Jacques Poos, la députée Octavie Modert, les Présidents honoraires de l’association da Vinci et le Président du Conseil de Gouvernance de l’Université de Luxembourg.

Remédier à la déficience en main-d’œuvre qualifiée

En ouverture, Carlo Thelen, Directeur général de la Chambre de Commerce, souligne que l’économie mondiale mise sur la croissance qualitative et que la troisième révolution industrielle est en marche.

Les ingénieurs ont toujours été le fer de lance des révolutions industrielles. Et cette fois encore, ils seront au cœur de ce nouveau modèle : la robotisation de l’économie.

La réussite du Luxembourg dans ce contexte repose sur sa seule ressource : la matière grise. Mais comment notre pays se situe-t-il dans la comparaison internationale ? Dans le Global Talent Competitiveness Index du World Economic Forum 2018, le Luxembourg se place 52e sur 127 pays en termes de disponibilité de scientifiques et d’ingénieurs. Pour la qualité de l’enseignement en mathématiques et sciences, il se trouve en 31e position. Dans le World Talent Ranking de l’Institute of Management Development de Lausanne, notre pays occupe la 44e position sur 63 en ce qui concerne la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée. Ce manque de main-d’œuvre qualifiée pourrait freiner le Luxembourg dans le développement de niches de compétence.

Pour pallier cette déficience, de nombreux acteurs, dont la Chambre de Commerce, œuvrent en vue d’une meilleure adéquation entre formations offertes et besoins des secteurs et des entreprises. Leur volonté affichée : miser sur la qualité et l’excellence en proposant des solutions de formations ad hoc pour chaque niveau d’enseignement.

Autre initiative prometteuse : la House of Start-ups qui accueillera dès avril de jeunes sociétés innovantes dans les principaux axes identifiés dans le cadre de l’étude sur la troisième révolution industrielle, dont notamment le numérique, la mobilité intelligente et les smart cities et smart buildings.

L’innovation, un état d’esprit

Marc Solvi, Président de l’Association da Vinci, prend ensuite la relève. Après les remerciements de mise, il a salué l’adhésion en 2017 de 71 nouveaux membres et s’est ensuite attardé sur deux initiatives particulièrement réussies : le Wëssens-Atelier qui vise à développer auprès des 8 à 12 ans la culture scientifique ; les Engineering Trainee Days en collaboration avec Jonk Entrepreneuren pour les classes supérieures du secondaire classique et technique.

Le thème de la conférence de cette 59e Journée de l’Ingénieur est l’innovation, a enchaîné Marc Solvi. L’innovation est le moteur de la croissance, mais aussi une réponse apportée aux défis globaux qui se posent : le changement climatique, la raréfaction des ressources ou encore le vieillissement de la population. L’innovation n’y sera pas une réponse parmi d’autres. Elle sera la seule réponse possible, car elle n’est pas un outil, mais un état esprit qui doit nous guider dans tous les domaines. Les ingénieurs y jouent un rôle crucial, puisqu’au cœur des innovations techniques. Il est donc primordial d’investir dans leur formation pour gagner les défis, en passant notamment à des mesures plus incitatives. Pourquoi ne pas instaurer, a lancé Marc Solvi, un financement différencié via un bonus encourageant les jeunes à s’orienter vers des filières d’études supérieures structurellement en pénurie, dont celles formant les ingénieurs ?

Le lean thinking, pour l’innovation aussi

Sur la scène ensuite, Norbert Majerus, conférencier de cette séance académique, Luxembourgeois vivant aux Etats-Unis. Il est le père spirituel du Lean Thinking en innovation chez Goodyear et auteur de l’ouvrage Lean-Driven Innovation récompensé par le Prix Shingo, la distinction la plus élevée en matière d’excellence opérationnelle.

La lean-driven innovation est l’application à la recherche et à l’innovation du lean thinking, que l’on pourrait traduire par pensée rationnelle et qui a révolutionné la fabrication. Les origines du lean manufacturing remontent à la faillite de Toyota dans les années 1950. Pour éviter qu’un tel épisode ne se reproduise, le constructeur japonais a inventé une procédure opérationnelle qui a porté ses fruits : la fabrication sans le moindre gaspillage.

Norbert Majerus illustre ensuite le lean manufacturing à l’exemple de Goodyear. Typiquement, le constructeur produit 30 000 à 40 000 pneus par jour par usine, garantissant ainsi une optimisation de l’équipement et des coûts de fabrication. Ces pneus sont stockés dans un entrepôt, mais 70 % seulement répondent à la demande du client. D’où l’idée d’un redéveloppement intégral à la fois du pneu et du processus de production, en produisant localement et dans des usines plus petites.

Il faut donc appliquer cette approche aussi à l’innovation des produits et des services, souligne Norbert Majerus en citant l’exemple de Kodak qui a eu beau développer la première caméra digitale, mais malgré cette avancée n’en a pas moins fait faillite en continuant à miser sur le film.

Faire plus avec moins et autoriser l’innovation

Les chercheurs sont confrontés à plusieurs problèmes, poursuit l’orateur : la vitesse vertigineuse du raccourcissement des cycles de vie des produits d’une part, et la hausse exponentielle de la complexité de ces mêmes produits de l’autre. Or, budgets et personnel de recherche ne se sont pas multipliés au même rythme.

Nous devons donc, selon Norbert Majerus, faire plus avec moins, et ce non seulement en fabrication, mais aussi en recherche et innovation, tout en nous assurant de rester compétitifs au niveau global.

De plus, les sociétés doivent autoriser l’innovation à se produire, notamment par des investissements ou des fonds publics. Mais financer ne suffit pas en soi. L’innovation ne réussit que si les produits sont conçus de sorte à être aisément envisageables et praticables en termes de fabrication, ventes et finances. C’est ici qu’intervient l’ingénierie concertée.

Nous devons par ailleurs nous concentrer à créer de la valeur pour le client. Il faut de l’agilité quand le marché requiert un nouveau produit, être suffisamment flexible, disposer du bon produit au moment même où le marché le nécessite et être le premier sur le marché à offrir ce produit pour s’assurer un bénéfice supplémentaire. Plus les procédés sont rapides, plus ils sont efficaces parce que quittes de tout gaspillage.

Nous devons également nous assurer d’avoir les bons paramètres pour stimuler les bons comportements. Et nous devons nous concentrer sur le produit et les procédés.

Goodyear lance 1 500 nouveaux produits par an. Avant de s’engager dans une approche lean innovation, 50 % de ces produits étaient profitables. En adoptant une approche lean, 100 % des produits sont devenus profitables, la vitesse du cycle de développement des produits a chuté de 70 % et la ponctualité de livraison approche des 100 %.

Valoriser salariés et entrepreneuriat

Le personnel joue un rôle important dans cette démarche lean. Nous devons communiquer avec nos salariés, les engager, les impliquer et les responsabiliser, leur accorder le respect qu’ils méritent et les aider à faire un bon travail. Nous devons promouvoir et gérer nos talents innovants qui créent de la valeur pour notre société. Et l’entrepreneuriat devrait devenir une fonction à part entière, au même titre que le marketing, les finances, etc.

Le lean thinking crée une amélioration durable en fabrication, en services et peut-être davantage encore en recherche, développement et innovation. Le passage à une culture lean crée un meilleur environnement de travail qui favorise le bonheur et la réussite professionnels de tout un chacun.

« Si tout semble sous contrôle, c’est que tout simplement nous n’avançons pas assez rapidement. » C’est sur ce constat que Norbert Majerus laisse une audience captivée par ses propos.

Articles de presse:

2018-02-05-letzebuerger-journal